31 décembre. La dernière fête de l’année approche à grands pas… Avec les amis Michael et Alejandro rencontrés à Minca, l’idée initiale était de nous retrouver à un festival de tambours au Costeño Beach Hotel, à Mendiguaca, où notre amie Melanie doit exécuter une performance de tissu aérien en même temps qu’elle joue du violon (!). Mais vu le prix exorbitant du billet, Michel m’a envoyé une invitation à une autre fête à thématique pirate (qui coûte le quart du prix). Malheureusement, l’ami ne pourra pas s’y rendre, il est atteint d’une fièvre intense qui s’avérera être le virus du dengue.. l’autre compagnon, lui, s’est trouvé un autre endroit où festoyer sur la plage de Buritaca. Mais d’autres gens à Palomino ont prévu se rendre à cette mystérieuse fête pirate, dont la française Marie (celle-là même que j’avais croisé dans le parc Tayrona, et recroisée par hasard il y a quelques jours). C’est en même temps qu’elle que j’embarque dans un des derniers autobus qui emprunte la route principale en direction ouest; elle avec sa bouteille de rhum à la min, et moi avec mon livre de chevet. Ce bouquin de poche que je traîne depuis Minca (et qui arbore l’image d’un colibri) s’intitule « Le courage d’être libre », de l’États-unien Guy Finley, et je me permets ici de vous en partager un extrait:

Je profite du trajet pour en lire un autre chapitre, pendant que mon amie semble perdue dans ses pensées. Au bout d’un moment, je me prends à méditer en regardant par la fenêtre les vagues heurter la côte… Puis, en regardant notre position sur la carte, nous réalisons que le chauffeur a oublié d’arrêter à Guachaca où il devait nous déposer tel que promis, et nous voilà largués au milieu de la route. Heureusement, un motocycliste nous fait la faveur de nous ramener vers le pont à partir duquel nous nous aventurons à trouver cet endroit qui se nomme « La Playita ». La plupart des gens que nous croisons ne semblent pas connaître l’endroit, mais lorsqu’on précise : « là où il y a le bateau pirate », ils se rappellent soudainement où il se trouve et sont prêts à nous orienter. L’un d’eux veut nous y conduire en moto, prétextant que le chemin est long et difficile, puis un autre nous dit le contraire, qu’il nous suffit de tourner à gauche, puis à droite.. cela concorde avec ce que j’avais pu déduire en suivant le plan et nous marchons d’un pas un peu plus sûr vers cet endroit où la musique se fait déjà entendre…
Nous sommes accueillis par les jeunes propriétaires de l’endroit, une auberge de jeunesse festive où sont attendus plusieurs DJs pour la soirée. Nous sommes les premiers visiteurs à recevoir le bracelet jaune à notre poignet. Marie part de son côté avec ce qui lui reste de sa fiole de rhum (elle l’a échappé sur la route et le flacon s’est brisé); de mon côté, j’entre dans la cuisine commune où sont réunis quelques convives: un Anglais, un Barcelonais, une Française , une Allemande, un Belge, une Colombienne, etcetera… Nous formons une clique internationale: les discussions tournent autour des coutumes et des différences nationales et régionales, et nous partageons quelques histoires avant d’entamer une partie de dés…
Nous nous déplaçons ensuite vers la rive où se dresse une grosse structure en bois en forme de bateau, arborant le typique drapeau avec une tête de mort sur fond noir. Une table tournante, derrière laquelle se trouve un premier DJ se chargeant de réchauffer la piste de danse. La foule est bien modeste, du moins pour l’instant, et je me laisse entraîner sur le « beat » avec les nouveaux copains. Un « party » en plein air pour célébrer la fin de l’année, dans un décor et un climat tropical, que peut-on désirer de mieux? Je dois néanmoins avouer qu’au fond de moi, j’avais imaginé une mise en scène un peu différente, ponctuée de « Aaarrh! » et de bières de microbrasserie, avec de la jonglerie, des cracheurs de feux, et un unijambiste joueur d’accordéon…. Bon, j’exagère un peu, mais il reste que ça m’aurait bien plu qu’on ait pensé à inclure quelques performances « live ». Mais non… que du pur « sound system»!
À quelques occasions dans la soirée, on me propose de me joindre pour une ligne de coke; je décline les invitations, je ne ressens pas à ce point l’envie de me « défoncer ». Puis vient le décompte, scandé par une partie de la foule, déjà plus nombreuse sur la piste de danse. 10-9-8-7-6… et à zéro on se prend dans nos bras, pendant que le « beat », lui, continue de manière constante, effrénée, incessante..
J’ai trouvé un endroit où célébrer avec des gens plutôt sympas.. En même temps, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour ceux qui sont réunis en famille, ou entre amis, en cette nuit spéciale. Je m’ennuie un peu de mon monde.. mes parents, mes proches du bas-du-fleuve, mes nouveaux potes rencontrés au cours de ce dernier mois. Aucun d’eux n’est présent, ici, à mes côtés.
Les DJs, eux, se succèdent, l’un après l’autre, et pendant que ça grouille de gens autour de moi et que la mouvance est à son comble, je commence à trouver que ça devient redondant, ce rythme carré, artificiel. Mon énergie baisse, et à défaut d’avoir recours à des stimulants pour la soutenir, je décide d’écouter mon corps et je pars fouiller dans mes bagages pour y récupérer mon hamac. Je trouve deux arbres auxquels accrocher celui-ci, et après avoir pris soin de vérifier avec ma frontale qu’il n’y ait pas de ces gros fruits massifs (noix de coco ou « zapotes ») susceptibles de me tomber dessus au cours de la nuit, je m’étends et me laisser aller dans les bras de Morphée.
Le lendemain, lorsque je m’extirpe tranquillement du sommeil, je recroise quelques-uns des copains assis autour de la table de cuisine ou étendus sur des hamacs, en train de jaser. Ils ont des petits yeux, ils n’ont pas encore dormi… D’autres, infatigables, continuent de danser en plein soleil pendant que le bateau diffuse encore ses vibration sonores : « boom, boom… »

Je fais la connaissance d’un Vénézuélien, Omar, qui joue le « cuatro » et m’enseigne quelques accords. Nous partons nous balader en direction du village, cela nous permettra de changer un peu d’air et de faire le plein de fruits frais… En marchant, la musique et le chant d’Omar viennent aux oreilles d’une de ses compatriotes, une voisine du coin qui nous a entendu par la fenêtre de son humble maison; en échange, elle nous invite pour un café et nous promet un « envuelto » (un met enveloppé dans une feuille de maïs).
Retour à la Playita. Tout a l’air de s’enligner pour que la première soirée de l’an 2022 sur ce site pittoresque se déroule tel une copie de la précédente. Pour ma part, mon idée est faite : avant que le soleil ne retombe sur l’horizon, je pars chercher mon sac à dos, j’y accroche mes sandales, et je mets à marcher dans la rivière avec l’intention de suivre son cours… En une heure environ, selon mes calculs, je devrais arriver à l’embouchure qui donne sur la côte atlantique…



Bon. Je dois avouer que les choses sont parfois un peu moins simples que ce qu’on prévoit avant d’explorer un nouvel endroit… Disons que pour 90% du trajet, le plan fonctionne à merveille. L’eau est juste à la bonne température, je respire l’air pur en profitant de la nature, photographiant la troupe de hérons blancs qui s’offre à ma vue.
J’ai de l’eau jusqu’aux genoux (parfois jusqu’aux cuisses), et je progresse sans trop de mal sur le lit de la rivière dont le fond est rempli de galets. Puis, les galets font place au sable, et puis, à certains endroits, le sable se transforme en vase… Je dois faire attention où je marche, et je réalise que plus la rivière s’élargit, plus il devient difficile de s’approcher de la rive.

Le niveau reste bas et le fond est ferme tant qu’on reste au centre, mais lorsque je tente de couper vers la gauche, l’eau monte rapidement et les pieds se mettent à s’embourber.. Je prend une pause sur une île de sable au milieu de la rivière, tandis que le ciel s’obscurcit. Les moustiques, eux, ont décidé que c’était leur heure de sortie et ne se gênent pas pour m’attaquer impunément. Je me sens pris au piège, alors que je suis pourtant si près du but; j’aperçois, devant moi, les vagues de la mer des Caraïbes qui s’offrent à ma vue.
Je remets les pieds à l’eau et je me mets à avancer à contre-courant, décidé à trouver un passage vers la terre ferme. Je m’oriente grâce à mon application GPS et à ma lampe frontale qui projette son faisceau de lumière… Je m’aperçois soudain que j’ai attiré un curieux animal, qui se met à parader dans l’eau, à un mètre à peine devant moi.
Quelqu’un me dira plus tard que j’ai fait la rencontre d’un bébé « babilla » (reptile de la famille du caïman). Ouf! Une chance qu’il n’était pas surveillé par la maman! Pourtant, la petite bête semblait bien inoffensive (après vérification postérieure auprès des moteurs de recherche, j’apprendrai qu’il s’agissait plutôt d’un « syngnathe » petit poisson de forme allongée de la même famille que l’hippocampe…)
Sans raconter en détails toutes les péripéties qui s’enchaînent à partir de là, disons que j’ai réussi à atteindre une des rives, non sans avoir trempé au passage le fond de mon sac à dos. Le reste implique que j’aie dû traversé une bananeraie, chevauché quelques clôtures, sauté par-dessus un fossé pour aboutir à un chemin de terre… lequel, à ma surprise, n’aboutit pas sur la plage mais sur un bassin marécageux à l’arrière d’un hôtel partiellement délabré. Un espèce de radeau, formé de vieilles planches de bois et de bidons en plastiques, y est stationné. En observant le panorama, tout porte à croire que je me suis foutu à nouveau dans un cul-de-sac… jusqu’à ce que je parle à un motocycliste qui me confirme que la barque en question est d’usage public, et m’explique son fonctionnement. Il suffit d’embarquer sur la plate-forme et de tirer sur une corde qui est amarrée à un arbre de l’autre côté…

Eurêka! Me voilà traversé, l’eau saline que j’avais tant anticipée déferle à mes côtés. Je peux enfin crier victoire! C’est plutôt un soupir de soulagement qui se dégage de mon être, un sentiment de satisfaction intérieure.
Le ciel est rempli d’étoiles, et on dirait que la grève aussi, alors que les vagues ramènent à mes pieds des grains de lumière bleutée et scintillante… je devrais être épuisé, mais l’air est vivifiant, et ça me donne envie de marcher encore quelques kilomètres, pieds nus sur la plage, en cette nuit magique… Prochaine destination : Costeño Beach?
Alors que je tourne mon regard dans la direction opposée, mes yeux détectent une lueur rougeâtre, à peine perceptible, à côté d’une structure de bambou. Je m’approche et constate que ce que j’ai vu est la couleur de la braise : quelqu’un a dû quitter l’endroit depuis peu, après y avoir fait un feu. Un bon feu de camp, n’est pas tout ce que j’ai besoin pour clore cette journée? D’instinct, je rassemble tout le bois de grève nécessaire pour le rallumer. Je me sens en paix, j’ai trouvé mon bivouac. C’est ici que je dormirai, en cette nuit du 1er janvier.

Auteur/autrice
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Chroniqueur nomade, Guillaume Girard exerce son art à travers le voyage, s'inspirant de tranches de vie les plus diverses dans un monde en constante évolution. Chemin faisant, il tente d'acheminer des messages à ses semblables, que ce soit sous la forme d'une pièce musicale, d'un reportage ou d'un court-métrage de fiction, mettant en évidence les nombreux défis et enjeux auxquels est confronté l’humain d’aujourd’hui, dans son immense village global.
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